Fin juillet, avant la première expulsion, on discutait avec deux personnes au square Daviais à côté de la place de la Petite Hollande. Ils nous expliquent qu’une grande partie des personnes autour de nous ne dorment pas Square Daviais, qu’il y a de meilleurs endroits où se reposer et se restaurer à Nantes mais qu’ils sont complets. Les personnes qui y dorment n’y sont donc pas par choix. Alors qu’est-ce qui amène les autres exilé·e·s au square Daviais ? Déjà, les tables, le point d’eau et les distributions de nourriture faites par L’Autre Cantine de Nantes en ont fait un espace d’accueil pour que les nouveaux Nantais rencontrent celles et ceux qui y sont déjà depuis quelques mois, années, ou qui y seraient né·e·s. Mais il y a bien plus : ici on échange, on s’informe, on débat, on mange, on fait une halte, on y construit un espace commun, fait de ses usages et dont les règles se construisent petit à petit malgré les galères. Ils ajoutent : « On a besoin d’un toit, de nourriture, et de soutien politique des habitant·e·s de Nantes. On ne croit pas que le gouvernement nous aidera, ce qui fera la différence c’est si les Nantais·e·s veulent nous accueillir et le font savoir » !
Alors que la contribution de la mairie se limite à des sandwichs triangles et un paquet de chips d’un côté, et des expulsions violentes de l’autre, les habitant·e·s concoctent de délicieux plats pour des centaines de personnes à L’Autre Cantine à partir de produits récupérés un peu partout et notamment chez des paysans du coin – 15 000 repas en quelques semaines annoncés début août, près de 80 000 aujourd’hui. Des hébergeurs solidaires remplissent les missions de l’État, censé mettre en œuvre le Droit au logement inconditionnel. Ils sont plus actifs que la mairie qui refuse de faire usage de son droit de réquisition. Il reste beaucoup à faire – avec au moins 400 personnes à la rue, mais les solidarités élémentaires se mettent en place pour le logement et la nourriture. Et pour la solidarité politique ?
Peut-être que ce sont les exilé·e·s qui ouvrent la perspective la plus encourageante sur le square Daviais. Des collectifs nantais·e·s n’ont pas attendu pour venir en aide dans l’urgence : le Collectif de Réquisition et d’Action Nantais (CRAN) a agi directement en occupant des lieux dès le début de l’hiver pour mettre à l’abri les plus vulnérables : des actes politiques forts et en prise directe avec la vie concrète des personnes qui en ont le plus besoin. L’école des Beaux-Arts, l’EPHAD, le Lycée Leloup Bouhier, le Lycée Vial et le Château de l’Université, que des bâtiments publics sans usages, tous expulsés sur demande de la mairie ou de la présidence de l’Université. Le Beautiful Immigrants Mouvement – BIM – s’est créé au début de l’été pour faire le lien entre les diverses actions de solidarité et renforcer le soutien politique pour les nouveaux habitant·e·s de la ville. Les associations traditionnelles demandent en vain depuis bientôt deux ans une table ronde avec la préfecture et la mairie… Cette absence de débats et d’actions publics a poussé les Nantais·e·s solidaires à agir en dehors des cadres poussiéreux. Aujourd’hui, face à tant d’hypocrisie et de violences institutionnelles, il est difficile de penser qu’une véritable politique de solidarité, sans calculs électoralistes, juste, humaniste et hospitalière, soit construite avec les pouvoirs publics. La mairie et la préfecture ne se soucient plus du commun des Nantais·e·s, anciens et nouveaux compris. Leurs représentant·e·s n’agissent que sous la pression populaire et politique. D’où la nécessité de construire des forces politiques capables de les surpasser : pas parce que nous aurions écrasé nos adversaires, mais parce que nous serions la démocratie et la solidarité en actes grâce à notre autonomie, nos préoccupations concrètes, nos institutions communes et nos pratiques populaires.
Pour ça, la piste ouverte par les exilé·e·s de Daviais est incroyable : dans le« pays des droits humains », dans la ville ouvrière qui était en amont de la Révolution et de mai 68, qui a proclamé sa commune, des exilé·e·s parmi les habitant·e·s les plus précaires de Nantes nous rappellent notre capacité à faire espace commun. Au square Daviais s’est construite une alliance des Terriens : de celles et ceux qui comprennent, parfois à leur dépens, qu’habiter Nantes au XXIè siècle est une pratique qui reste à inventer et construire collectivement.