Pour nourriture produite à proximité de nos lieux de vie

Nous parlons de plus en plus de production locale de notre nourriture et le contexte de dérèglement climatique plaide de plus en plus en notre faveur. En effet, nous sommes de plus en plus confrontés à un impératif écologique qui nous poussent à remettre du sens dans des pratiques absurdes, comme le fait de faire parcourir le globe à notre nourriture. Quel sens y a-t-il dans le fait de produire un concentré de tomate avec des tomates chinoises, transformées en Italie puis envoyées aux Etats-Unis, pour enfin être consommées en France ? (voir à ce sujet L’empire de l’or Rouge de Benjamin Malet).  Ce système, considéré pourtant comme efficient, ne l’est que sous l’angle économique et dans une logique spéculative.

Par ailleurs, la production locale permet de réintroduire du lien social là où l’industrialisation mondialisée de l’agriculture le détruit. Localement, on a l’occasion de connaître ceux qui produisent ce que l’on mange et de recréer un lien de confiance entre les producteurs et les consommateurs – confiance dont nous avons besoin dans un contexte où les scandales sanitaires de l’agro-industrie se multiplient. Ce lien est à double sens permettant aux mangeurs de s’intéresser aux enjeux de ceux qui produisent et inversement. La liste des arguments en faveur d’une production locale de notre nourriture peut s’étirer encore : retrouver une culture locale, améliorer la résilience des villes contre la gestion en flux tendu sans stock, réapprendre à vivre avec la saisonnalité, etc. etc.

Mais cette volonté de re-localiser la production et la consommation de notre nourriture se confronte à un problème majeur : celui de la métropolisation. En effet, nos villes s’étendent encore et toujours, produisant chaque jour de nouvelles excroissances urbaines sur les territoires alentour. La métropole nantaise prend ouvertement part à la compétition avec les autres villes françaises et européennes, en menant une politique d’attractivité. Politique qui vise à attirer des investisseurs, des entreprises et les compétences qui vont avec. Ce ne sont pas les plus pauvres qu’on essaie d’attirer, évidemment, mais plutôt des personnes qui ont des compétences valorisables sur le marché du travail et qui ont de l’argent à dépenser dans nos commerces. Cette forme de stratégie compétitive de peuplement sélectif a de nombreuses conséquences. Concentrons nous sur deux d’entre elles : la concentration des richesses s’alignant sur la tertiarisation des secteurs d’activités, et la croissance en surface des villes pour accueillir les nouvelles populations. Deux effets dont le résultat combiné est le même : nous bétonnons à un rythme alarmant les terres alentour dont, très souvent, des terres destinées à nous nourrir. Selon les modèles, on estimait en 2014 en France l’artificialisation des terres agricoles au rythme de 16 000 à 61 200 hectares par an. Soit, pour la tranche haute, 1% de la surface du territoire tous les dix ans. Et le phénomène ne s’est pas atténué… 

Pour deux tiers, l’artificialisation est due à l’habitat individuel, formant dans le cas des métropoles le “périurbain”. Pour le reste, au-delà de l’habitat collectif, il s’agit d’un ensemble de projets destinés à nous, citadin·e· s. Par exemple pour nos loisirs, comme dans le cas du Surf-park de Saint-Père-En-Retz qui propose 9 hectares artificialisés pour le surf à 14 kilomètres d’un spot en pleine mer. Ou pour nos biens matériels, avec, par exemple le projet de plateforme logistique sur 19 hectares au Loroux-Bottereau pour amasser les marchandises d’Amazon, d’Auchan ou de Carrefour. Mais aussi bien sûr, le projet, désormais abandonné, d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui occupait quant à lui 1250 hectares.

Petit à petit, maison par maison, projet par projet, la surface de terres agricoles se fait grignoter. Le sujet préoccupe même le gouvernement qui a publié fin 2018 un rapport sur la protection du foncier agricole (rapporté pas Anne-Laurence Petel et Dominique Potier). Et en Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet a organisé en juin dernier un débat autour de l’objectif “zéro artificialisation nette” dans le département, dans le cadre d’un colloque intitulé « Terre (à) ménager ». Ironiquement, cet objectif fut remis en question dès l’ouverture du colloque par deux des intervenants proposant plutôt la « zéro artificialisation » tout court ! (“Nette” signifie ici que toute terre artificialisée doit être compensée ailleurs, ce qui signifie que l’on imagine « rendre naturelles »des zones artificielles – une absurdité si l’on considère la question de la qualité de la terre appauvrie par des années de bétonisation contre la terre vivante et fertile des terres agricoles que l’on veut engloutir.)

D’un côté, nous réduisons les terres agricoles disponibles à proximité des villes. De l’autre, nous augmentons la quantité de terres nécessaires pour nourrir les citadins toujours plus nombreux dans les villes – accroissement de la consommation de viande, de la consommation de lipides et de céréales, notamment pour l’industrie de transformation, sans parler des agro-carburants. Pour répondre à cette accroissement des besoins en alimentation des villes, il ne reste plus qu’une solution : importer les produits nécessaires des quatre coins du globe. Un exemple des plus marquants : la production de soja en Amérique du sud qui sert à la fois à alimenter en protéine les animaux d’élevage français, mais aussi à produire de l’huile de soja pour nos produits transformés. 

Les terres agricoles se raréfient. Mais, autre problème : sa propriété se concentre inéluctablement entre des mains de moins en moins nombreuses. Et alors que beaucoup de paysan·ne·s et éleveurs partent à la retraite, les jeunes souhaitant s’installer ont de plus en plus de mal à le faire. Ils ne parviennent pas à trouver les fonds nécessaires pour acheter du matériel devenu hors de prix avec la mécanisation ultra-technique, et surtout le foncier est de plus en plus inaccessible du fait de son coût. Ainsi la plupart des nouveaux agriculteurs travaillent-ils sur des terres en location. Et ça, c’est pour ceux qui peuvent être à leur compte car beaucoup n’ont pas d’autre choix que de devenir salariés de grandes coopératives. Résultat: s’installer dans un mode de production dit “alternatif”, c’est-à-dire prenant soin de la terre et des humains qui la travaillent, est un parcours du combattant au sein d’institutions mises en place dans les années 1950 pour promouvoir une autonomie alimentaire qui n’existe plus. 

Aujourd’hui, la question de la protection des terres agricoles est ouverte au sein de l’Etat qui cherche des solutions pour maintenir le modèle agraire français. La question du statut de fermage – une forme de bail locatif pour l’agriculture – est mise sur la table. La consigne dans les derniers débats de la FNSEA était d’affirmer plus de sécurité pour les fermiers, et plus de liberté pour les propriétaires. Deux enjeux qui paraissent contradictoires. Même question sur la SAFER, organisme de préemption des terres agricoles, accusé d’un contrôle à la fois excessif et inefficace.

Les tensions se font sentir entre un modèle agricole industriel productiviste, et protectionniste français, porté par une alliance privé/public, et un ensemble de firmes privées internationales qui souhaitent sa rupture. 

Voilà où nous en sommes. La défense des terres agricoles est une priorité si nous voulons développer une production locale. Cependant, pour retrouver notre autonomie locale, difficile de choisir entre ces deux modèles. N’est-ce pas le moment de penser une voie alternative ? Nous proposons celle des communs : retrouver une terre qui soit réappropriée et soignée par ceux qui l’habitent et ceux qui en dépendent. Une terre qui ne soit ni un outil privatisé pour le profit d’un petit nombre, ni un outil au service de l’ultra-productivisme. Nous avons besoin, en tant que métropole, de nous intéresser à celles et ceux dont nous dépendons, de les remettre au coeur de nos débats et de nos politiques. Nous avons besoin de reconsidérer le territoire où nous vivons, et dont nous vivons, comme une entité solidaire et interdépendante. Nous avons besoin de prendre soin de notre terre.