La logique néolibérale est la logique dominante : celle-ci guide l’action des chefs d’État comme Emmanuel Macron, de la plupart des maires de grandes villes, ou encore des grands chefs d’entreprise, des stratèges de start-up, et, bien sûr, dans une large mesure, de la Commission européenne de Junker. Mais comme toute logique, elle déborde largement le cadre de ces institutions : on la retrouve dans les discours des médias, mais aussi dans la bouche de certaines personnes qu’on pourrait croiser dans la rue ou dans un repas de famille, qui s’appuient sur cette logique pour lire le monde et pour agir. Même, on doit le reconnaître, cette logique nous imprègne toutes et tous, elle nous traverse, car leurs mots nous traversent, leur grille de lecture nous influence.

Dans cette logique néolibérale, l’individu doit être le plus libre possible. Mais pas libre de n’importe quelle manière. La forme particulière de liberté individuelle qu’on accorde à l’individu, c’est, finalement, la liberté d’entreprendre, et surtout, de s’entreprendre lui-même. Il ne doit pas exister d’obstacle entre l’individu et le marché mondial. Être libre, c’est être libre de réussir à se vendre, être libre de faire face à la concurrence, et si je le mérite, être libre de m’enrichir. Pour cela, le droit doit régner, donc l’État doit agir fortement pour instituer un cadre propice à cette forme de liberté. Instaurer ce cadre commence, bien sûr, par garantir la propriété privée. En effet, la meilleure manière d’atteindre la prospérité, c’est de faire en sorte que, par contrat, les individus s’échangent leurs propriétés, y compris leur travail, de la manière la plus fluide et la mieux accompagnée possible.

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Petit à petit, la société capitaliste dans laquelle nous évoluons, fondée sur la mise en économie de nos vies, tend à ressembler à l’idéal néolibéral. Tout s’y vend, tout s’y achète. Dans une société mise en économie, même les rencontres et les relations personnelles, amoureuses, amicales, ou professionnelles, deviennent un objet de gestion. La gestion des relations sociales devient un marché-clé de l’économie mondiale, qui enrichit les plateformes offrant les meilleurs algorithmes en vendant le mieux nos données. Évidemment, notre temps s’y vend et s’y achète, que ce soit notre temps de travailleur, ou notre temps de consommateur : notre attention devant l’écran s’y vend et s’y achète, nos expériences s’y vendent et s’y achètent.

La liberté de commercer étant supérieure à la liberté de manifester, les deux étant garanties, on se rend assez vite compte que cet ordre néolibéral ne peut être maintenu en cas de crise sans une forte intervention autoritaire de l’État et de sa police. De toute façon, selon cette logique, chaque individu cherche avant tout à maximiser son bien-être personnel. Aussi, toute protestation n’a que deux sources possibles : ou bien elle exprime un problème dans le fonctionnement du marché : par exemple, dans l’adéquation des offres de formation professionnelle aux offres d’emploi, dans la surtaxation du carburant. Ou bien elle est l’œuvre de factieux tentant de mettre en place une dictature, d’agitateurs professionnels.

Le mouvement des communs porte en lui une logique toute différente. Le principe qui est au cœur de ce mouvement, c’est celui du commun, et non celui du marché. Ce principe du commun oppose à la rationalité capitaliste une autre raison. Dans les multiples pratiques qui s’affirment aujourd’hui, du teatro Valle à la ZAD, de l’Autre Cantine à la Cafète de Bellevue, de la Nizanerie à Saillans, on peut lire plusieurs affirmations. Le principe du commun nous invite ainsi à privilégier :

  • l’usage collectif sur la propriété privée exclusive ;
  • l’autogouvernement démocratique sur le commandement hiérarchique ;
  • la mise en commun active sur l’appropriation ;
  • ce qu’on institue par l’activité collective concrète sur ce qui est institué par des entités extérieures.
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Mettre en commun quelque chose, que ce soit une bibliothèque, un théâtre ou un pâturage, c’est agir pour rendre cette bibliothèque, ce théâtre ou ce pâturage à la fois accessible et inappropriable. Les faire accessibles en les construisant ouverts autant que les faire inappropriables en instituant des limites à leur usage : pas plus de cinq livres empruntés par une personne, par exemple.

Ce n’est pas un seigneur ni un propriétaire qui veillera au respect de ces limites, mais une communauté d’usagers qui se constitue dans l’action. Une communauté au sens où ces gens, qui ne se connaissaient peut-être pas il y a six mois, prennent soin ensemble de ce commun. Une communauté produite par leur coopération active.

Le principe du commun nous invite à agir, et ce, à toutes les échelles. Il nous invite à un combat positif contre l’appropriation capitaliste, en résistant à la mise en économie de nos vies, autant qu’en construisant la mise en commun de nos villes.